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Les parchemins numériques de Richard Mesplède

Les parchemins numériques de Richard Mesplède

Actualité littéraire de Richard Mesplède


Les auteurs de SFFFH français ont du talent

Publié par Richard Mesplède sur 1 Novembre 2014, 19:30pm

Catégories : #Les auteurs SFFFH français ont du talent

Les auteurs de SFFFH français ont du talent

Je vous en parlais il y a quelques jours. L'opération "Les auteurs de SFFFH français ont du talent" débute aujourd'hui. Je vous propose donc de découvrir un premier extrait de "Sourtha"...

Nekheb jouait à la poupée dans la cour du temple, sous la surveillance d’un eunuque armé d’une hallebarde.

La présence du garde n’avait aucune importance pour la fillette ; le vœu de silence qu’il avait prononcé, tout comme son stoïcisme, n’en faisaient rien de plus qu’une statue, un élément de décor aussi froid que les murs de pierre jalonnés de colonnes délimitant la place. La jeune Nekheb se sentait, une fois de plus, seule. N’ayant d’autre compagnie effective que la poupée de chiffon avec laquelle elle s’inventait des histoires, elle s’ennuya bien vite.

C’était une journée chaude et le soleil, haut dans le ciel, inondait la cour de ses rayons de feu ; la sueur perlait au front de la petite fille et la chaleur engourdissait ses sens, ajoutant encore, si c’était possible, à l’atmosphère lourde et pesante de sa solitude. Elle décida de retourner dans ses appartements sans en avertir le garde ni même lui lancer le moindre coup d’œil. L’eunuque la regarda s’en aller d’un air amusé ; après tout, il n’était là que pour la protéger lorsqu’elle quittait le temple et pour l’escorter quand elle se rendait à l’école.

La moiteur estivale s’était insinuée dans sa chambre, et bien qu’il y fit meilleur que dans la cour, Nekheb ôta sa robe et s’allongea, uniquement vêtue d’un pagne de soie, sur sa paillasse.

Le temps s’étira tandis que la fillette rêvait, à demi-endormie, laissant errer son imagination à travers les mondes merveilleux et ludiques dans lesquels seuls les enfants semblent avoir la faculté de se projeter.

Soudain, une trompette résonna dans les couloirs du palais.

Nekheb fut aussitôt tirée de sa rêverie ; la curiosité prenant le pas sur la sagesse – mais n’était-ce pas une autre condition toute enfantine – elle sauta de son lit et sortit de sa chambre, abandonnant sur les draps roulés en boule sa poupée de chiffon.

L’eunuque l’aperçut, naturellement, et entreprit de courir derrière elle afin de la rattraper : la petite était presque nue ! Une telle insouciance risquait fort de lui retomber dessus !

Les auteurs de SFFFH français ont du talent

Une étrange procession venait d’envahir la place principale du temple : une dizaine de personnes avait fait son entrée, et s’était disposée en ligne. Deux soldats brandissaient fièrement de longues trompes, sur les hampes desquelles pendaient des oriflammes colorés mais dénués d’armoiries ou de quelques broderies que ce soit. Un énorme tambour était harnaché à un troisième musicien. Près de lui se tenait un porte-étendard, lequel transpirait à grosses gouttes sous le poids de la bannière qu’il brandissait, et sur laquelle étaient cousus de nombreux symboles et écritures aux couleurs criardes. Ces dessins en encadraient un autre, plus grand, qui représentait le visage d’un homme dont la bouche était grande ouverte ; la figure d’héraldique, certes singulière, n’était pas inconnue de Nekheb : c’était celle du crieur public. Les suivants qui l’accompagnaient portaient différents matériels tels que bardas, outres, rouleaux de parchemin et autres babioles. Les colporteurs qui accompagnaient le crieur étaient des voyageurs confirmés, qui ne restaient jamais plus de deux jours au même endroit. La préceptrice de Nekheb lui avait expliqué un jour, avec toutes les métaphores dont la petite fille était friande, que ces gens-là n’avaient d’autre toit que la voûte étoilée, et que leur vie était pareille à celle des oiseaux migrateurs. Ils allaient et venaient à travers le monde, et se faisaient les porte-parole de tout le Royaume.

Le crieur lui-même se tenait au centre de ses accompagnateurs. C’était un homme à l’allure excentrique : son imposante silhouette était enveloppée d’une robe aussi ample qu’un drap de lit, teinte de couleurs criardes et ourlée de fioritures grossières. Ses mains étaient dissimulées dans de larges manches évasées qui se terminaient par des pointes lestées de grelots, à l’image des collerettes de bouffons, et un bonnet à longue capuche pointue pendait dans son dos. Ainsi, pas une seule partie de son corps n’était visible, hormis son visage ; totalement glabre et rond comme la lune, celui-ci était outrageusement maquillé. Les joues fardées de blanc, les paupières peintes de pourpre et la bouche démesurément agrandie par des lèvres roses de deux pouces d’épaisseur… Ce masque insolite et quelque peu inquiétant était celui du cri fait homme !

Les deux sonneurs portèrent à nouveau les becs de leurs trompes à leurs bouches, et poussèrent une longue plainte.

Les citoyens, qui avaient commencé à se rassembler de façon chaotique sur la place à la première sonnerie, semblèrent retrouver alors un semblant de calme. Les pavés, qui quelques heures plus tôt n’étaient inquiétés que des quelques pas effectués par une fillette et un eunuque, étaient à présent foulés par des centaines de personnes qui trépignaient de curiosité ; de là où elle se tenait, c’est à dire perchée sur le piédestal soutenant l’une des grandes colonnes encadrant la cour afin de voir par-dessus les têtes, Nekheb avait l’impression qu’aucun espace ne demeurait libre. La foule recouvrait chaque centimètre carré de la place, excepté l’espace vide qui entourait le crieur et sa suite, comme un cercle de protection. Les colporteurs étaient pareils à des pestiférés dont personne ne souhaitait s’approcher à plus de cinq ou six pieds.

Une jeune vestale, qui se dévissait littéralement le cou afin de ne pas rater une miette de ce divertissement inopiné qui venait d’interrompre le temps de prière, commentait ce qu’elle distinguait à ces consœurs de plus petite taille :

« C’est le crieur ! Pour qu’il se déplace jusqu’ici, dans l’enceinte du temple, la nouvelle qu’il apporte doit être très importante ! »

C’était effectivement le cas, comme tout un chacun s’en aperçut bien vite :

« Dames, damoiselles, messires. Chères prêtresses, chers prêtres », déclama le crieur avec une voix grave que soulignait un jeu théâtral inspirant la tragédie, « Sa Majesté le Roi Nabathan, huitième du nom, connu également sous celui du Valeureux, annonce en ce jour le décès de son épouse, la Reine Anémis. Un couvre-feu sera établi et tous les temples demeureront clos. De plus, aucune cérémonie religieuse n’aura lieu pendant les quatre jours de deuil. »

Une rumeur naquit dans la cohorte constituée de citoyens en pèlerinage, de prêtres, de gardes et autres badauds rassemblés sur la place. Elle enfla rapidement, jusqu’à devenir un incoercible brouhaha au travers duquel il fut difficile de percevoir la fin de la déclamation du crieur :

« Les représentants de l’ensemble des Maisons du Conseil assisteront au départ de la Reine pour la nécropole... » Le reste fut tout bonnement noyé dans le tumulte constitué de hurlements de détresse, de soupirs exagérés des dames tombant en pamoison, et des voix de prêtres et de gardes s’évertuant de maintenir le calme et intimant l’ordre de respecter le silence qu’exigeait la coutume lors d’une si triste nouvelle.

Nekheb avisa une domestique, tout près de sa position, et la héla.

« Est-ce que tante Anémis est morte ? », lui demanda-t-elle sans trop comprendre.

- Oui, lui fut-il répondu. Votre tante est morte. Mais ne restez pas là. Il faut vous habiller…

- Mais je veux voir ma mère…

- Vous ne pouvez pas la voir ainsi dévêtue ! »

L’eunuque qui était parti à la suite de la fillette réapparut à ce moment-là. Il balaya la foule du regard, tout en peinant pour reprendre son souffle. Finalement, il aperçut Nekheb. Il s’approcha lentement, ne sachant trop comment la convaincre de le suivre jusque dans ses quartiers… Sur un signe de tête salvateur et complice de la servante, il mena Nekheb par le bras, d’une main ferme mais non agressive. Naturellement, la domestique et lui-même seraient sévèrement punis s’ils laissaient la fille de la Matriarche de la Maison des Prêtres du Vent se montrer dans cette tenue. Et les circonstances ne se prêtaient absolument pas à ce genre d’écart.

Une heure plus tard, et non sans mal, la petite avait été ramenée dans ses appartements, ou cinq servantes l’avaient apprêtée en prenant une attention particulière à lui faire porter les marques du deuil ; les bracelets et le diadème funéraire, sculptés dans l’ébène et finement ouvragés, ornaient à présent les poignets et le front de l’enfant.

« Où est ma mère, maintenant ?

- La Matriarche s’est rendue au Palais, seule. La nouvelle de la mort de votre tante l’a profondément affectée. Vous ne pouvez pas la voir tout de suite. Soyez patiente ; elle sera probablement de retour dans la soirée. »

La réponse était loin de satisfaire Nekheb, qui bouda tout le reste de l’après-midi.

"Sourtha" est le premier tome du cycle "Voyages en Orobolan", d'après le conte et l'univers de Mestr Tom. Je vous en proposerai un deuxième extrait dans quelques jours...

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